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Montagne et fréquentation
Montagne et fréquentation
Posté le lundi 4 septembre 2023 à 17:08:23
Le fameux trail UTMB de Chamonix vient de se terminer. Une page de plus est tournée concernant cet évènement très médiatique, tant dans les journaux que les réseaux sociaux. Une sorte de grande messe annuelle, comme on en trouve ailleurs, au cours de laquelle, des milliers de gens viennent communier et vivre par procuration ce qu'ils ne sont pas capables de faire eux-mêmes. On vient du monde entier, comme pour l'Iron Man, où le marathon de New York. L'UTMB est un symptôme parmi plein d'autres d'une fréquentation croissante des zones de nature, et de la montagne en particulier. La Covid a bon dos sur cet engouement soudain pour les grands espaces. C'est une tendance lourde qui s'est accélérée, la faute à la démographie, aux réseaux sociaux qui idéalisent ces lieux, aux médias qui poussent à ne regarder que dans la même direction. La liste des causes est longue et certainement non exhaustive.
Dans ce contexte, certains s'énervent, fustigent le grand Capitalisme, comme le responsable ultime de ces agapes collectives qui ont toujours existé, mais avec une taille plus humaine semble-t-il. C'est dans la nature humaine de se montrer, de faire comme les autres, de se rassembler comme des moutons, instinct grégaire oblige. L'instantanéité d'une photo prise sur le vif et relayée au monde entier a largement contribué à démultiplier les effets, et rendre pénibles pour quelques-uns ces moments qui devraient être joyeux pour tous, en principe !
Il est certain que l'organisation de telles fêtes sportives nécessite de l'investissement, de l'argent, beaucoup d'argent, et que pour rendre l'ensemble rentable, il est nécessaire de monter en échelle. Dans cette affaire, il y a certainement quelques loups prédateurs, mais tout le monde a sa part de responsabilité, notamment les collectivités locales, qui voient dans de tels évènements l'occasion rêvée de faire connaître la région, de faire tourner le commerce, et d'augmenter les recettes fiscales et autres. Évidemment, tout cela, la main sur le coeur, en voulant protéger l'environnement, sombre contradiction dont tout le monde se fiche au moment où la fête se déroule. On passerait pour un rabat-joie, un pisse-vinaigre ! Et d'autres associations professionnelles se font très discrètes, comme le bureau des guides de Chamonix... Il faut bien vivre et manger, nourrir sa famille. Et dans ces conditions, la nature a bon dos, et on s'assied volontiers dessus face à cette foule hurlante, parmi laquelle quelques clients sont à dénicher.
Dans ce contexte, fustiger le grand Capital est facile mais faux. Les grands mouvements collectifs sont universels, en terre socialo-communiste ou pas. C'est la nature humaine qui est la cause, pas le système économique, et pour les ignorants à ce sujet, ce système économique fondé sur la liberté (aïe, l'affreux libéralisme, que dis-je le néo-libéralisme...) a sorti des milliards de gens de la grande misère. Un peu de lucidité ferait du bien, à moins que les donneurs de leçon préfèrent vivre à PyongYang. Chacun ses plaisirs...
Si je taquine avec gentillesse la Compagnie des guides de Chamonix, c'est que récemment, ils ont montré le grand écart dans lequel ils vivent. L'affaire ubuesque des pieux du Mont-Blanc, posés pour sécuriser le flux des touristes en haute altitude est un peu comme les fanions de l'UTMB. On canalise, pour mieux profiter du système. Christophe Profit, qui les avait enlevé au nom d'une éthique protégeant à la fois les alpinistes et la montagne et fut poursuivi pour cela, ne reçut aucun soutien de cette vieille compagnie, malgré ses appels. Christophe avait un défaut : il touchait au grisbi des guides, qui pris individuellement sont tous pour préserver la montagne, mais aussi prêts à sacrifier le Mont-Blanc pour faire tourner le business. D'ailleurs le maire Saint-Gervais procède de la même logique, ce qui montre bien la collusion des institutions, au nom d'une sécurité qui a bon dos !!
Alors que faire face à une déferlante de touristes, dont ont on veut bien les sous, mais pas la présence ? Pas simple, mais plutôt que de créer un appel d'air périodique sur les mêmes évènements, qui amplifie les problèmes, il est infiniment préférable de suggérer l'originalité, la créativité. Je pense par exemple à l'alpiniste Pascal Sombardier dont la recherche d'itinéraires hors du commun est exceptionnelle. Il aime partager et il le fait de la bonne manière. Mais une simple couverture de livre a donné lieu à une ruée inattendue vers une double arche unique en Chartreuse, causant désagréments et dégradations pour son propriétaire, et malaise pour son découvreur ! Certes la situation n'est pas comparable, mais elle illustre le fait qu'il faut rester discret et se contenter du bouche à oreille. Le moratoire sur les topos d'alpinisme en Belledone fut certainement une belle initiative, car le massif reste encore très préservé, confidentiel. On a tous envie de transmettre son savoir, ses connaissances. C'est humain. Mais le faire par des moyens touchant tout le monde, amplifié par les réseaux sociaux, c'est l'assurance de la désolation. La nature se mérite. Tout le monde ne peut pas avoir accès à tout, et pas seulement pour des raisons de sécurité. Il faut être en mesure d'apprécier l'environnement dans lequel on se trouve. Le temps et les efforts sont les outils de l'éducation. L'UTMB devrait rester une jolie course locale, et le plus simple est probablement de limiter le nombre de candidats, de limiter les accès. C'est élitiste, mais nécessaire. Ce n'est pas injuste.
Et foin du grand Capital ! La solution est devant nous, simple, humaine. Quand on voit d'un côté les queues monstrueuses sur l'Everest, et de l'autre les itinéraires fantastiques parcourus en Himalaya par Mick Fowler et Paul Ramsden, sur des sommets inconnus, déserts mais mille fois plus impressionnants, on peut se dire qu'il existe d'autres voies, superbes, mais plus exigeantes. Encore faut-il avoir l'oeil pour savoir regarder. L'UTMB, les pieux du Mont-Blanc ne sont pas une fatalité. La vallée de Chamonix et ses montagnards sont responsables de ces atermoiements pathétiques. Pour le Mont-Blanc, je suis certain que peu de gens savent qu'il y a des refuges où moins de 300 personnes sont passées en un siècle et même plus ! C'est là où se trouve le bonheur de l'accomplissement, la joie d'avoir réalisé quelque chose d'unique.
Non, la montagne n'est pas surpeuplée. Elle est mal peuplée. C'est tout. Et ne mélangeons pas climat, montagne, politique, économie, intérêts privés, intérêts publics dans un gloubi-boulga qui n'a aucun sens. Il faut rester pragmatique et agir. Dans les montagnes jaunes, en Chine, j'ai ainsi emmené un groupe de chinois, faire une ascension inattendue qu'ils refusaient initialement. Ils voulaient tous prendre le téléphérique, attendre des heures sur les chemins bondés taillés dans la roche. J'ai refusé, et je suis parti du bas, à pied. Il n'y avait personne. Ils ont fini par me suivre de peur de me perdre ! Arrivés au sommet par une voie détournée, il n'y avait plus personne là -haut, car nous sommes arrivés tardivement. Une partie de la descente se fit de nuit à la lumière des portables. En bas, de retour, c'était le plus beau jour de leur vie. Cela se lisait sur leur visage. Ils avaient mérité les montagnes jaunes par leurs efforts et leurs volontés. J'étais heureux pour eux, et comblés en moi-même. ...
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